J'ai l'impression d'être né dans un train roulant vers une destination inconnue, avec pour bagages les origines rurales de mes parents, une boîte de crayons de couleur et tout ce dont je suis fait.
J'ai rarement l'impression d'avoir choisi et c'est très bien ainsi.
Sur le billet : mon nom, Alain Chevalier, siège numéro 6, compartiment numéro 1, quai 946, départ 13 heures, en aller simple, sans changement de direction.
Le voyage restera inachevé, c'est la même chose pour tout le monde paraît-il.
Le voyage file, vers le hasard ou la providence.
Je peux circuler dans le couloir, je peux aussi attendre en regardant par la vitre un paysage furtif.
Je ne sais pas si c'est le paysage qui défile ou le train qui avance.
Le voyage me semble parfois très long. Ma préoccupation première est de savoir d'où je viens mais le wagon de queue est continuellement fermé, je ne peux donc pas voir ce qu'il y avait avant. Cela reste un mystère.
Je passe mon temps à observer, à rechercher des indices, des traces, des sensations, je récolte, je collectionne, je bricole, je manipule, et ainsi je fabrique des choses dérisoires, que je ne peux pas définir. J'essaye de comprendre, de m'expliquer.
Parfois le train marque un arrêt dans des stations et laisse des traces de mon passage.
J'en profite pour me délester des choses encombrantes, devenues inutiles, pour satisfaire ce besoin de m'alléger. C'est également un moment de rencontre et d'échange avec d'autres voyageurs pour prendre des nouvelles du monde.
Les créateurs, déposent ce qu'ils peuvent dans les stations transformées parfois en musée : des accroche-cœurs, des signes picturaux indéchiffrables, des signes de détresse, des signes futuristes, des signes d'amour et autres présages. Le plus souvent, ceux-ci restent en consigne ou sur le quai des encombrants, au regard des autres voyageurs. Certains plus attentifs les récupèrent dans leurs bagages et font un bout de chemin avec eux jusqu’aux prochaines stations.
Très vite, il me faut repartir, je dois consommer de l'énergie pour respirer, exister.
Je suis le faiseur de mes rêves, de mes obsessions.
Je suis ce train... je suis l'énergie, je suis le temps et je ne vois toujours pas de contrôleur. Et c'est ainsi que va le temps, de plus en plus vite.
Mon cheminement, c'est mon questionnement, rien ne me paraît rectiligne, équilibré. Des portes s'ouvrent et se referment de l'extérieur vers l'intérieur, de l'intérieur vers l’extérieur, dans l'égarement d'un dédale, et pourtant quelque chose réunit toutes ces errances vers une cohérence qui me dépasse.
Alain Chevalier
Dans mon enfance, par hasard, j'ai trouvé un bout de tissu rouge et jaune, accroché à trois baguettes de bois. Le fil de ce jouet dérisoire s'est attaché à moi comme un cordon ombilical durant toute mon existence.
Cet objet devenu sculpture mouvante, glissant sur des vagues invisibles cherchant à superposer son environnement comme un effet de collage surréaliste, devenait un moyen d'expression, solitaire, éphémère, gardant toujours son rapport à la nature sans autre contribution que le vent.
J'empruntais cette voie de traverse inattendue, étrange et insolite, dans la réalisation de signes mystérieux.
Elle me permettait de développer et d'imaginer d'autres projets, ce qui me convenait parfaitement
Alain Chevalier